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Phrases de Emil Cioran
Toujours le réactionnaire, ce conservateur qui a jeté le masque, empruntera aux sagesses ce qu'elles ont de pire, et de plus profond : la conception de l'irréparable, la vision statique du monde. Toute sagesse et, à plus forte raison, toute métaphysique, sont réactionnaires, ainsi qu'il sied à toute forme de pensée qui, en quête de constantes, s'émancipe de la superstition du divers et du possible.
On ne réfléchit que parce qu'on se dérobe à l'acte. Penser, c'est être en retrait.
Le seul service que nous pouvons demander aux autres, c'est de ne pas deviner à quel point nous sommes lamentables.
L'homme est un animal surmené.
Le secret de l'Histoire, c'est le refus du salut.
Si le dégoût du monde conférait à lui seul la sainteté, je ne vois pas comment je pourrais éviter la canonisation.
Ce n'est pas la peine de se tuer, puisqu'on se tue toujours trop tard.
Toute forme de hâte, même vers le bien, traduit quelque dérangement mental.
Tous ces peuples étaient grands, parce qu'ils avaient de grands préjugés. Ils n'en ont plus. Sont-ils encore des nations ? Tout au plus des foules désagrégées.
Au paradis, les objets et les êtres, assiégés de tous côtés par la lumière, ne projettent pas d'ombre. Autant dire qu'ils manquent de réalité, comme tout ce qui est inentamé par les ténèbres et déserté par la mort.
L'homme fait l'histoire; à son tour l'histoire le défait. Il en est l'auteur et l'objet, l'agent et la victime. Il a cru jusqu'ici la maîtriser, il sait maintenant qu'elle lui échappe, qu'elle s'épanouit dans l'insoluble et l'intolérable: une épopée démente, dont l'aboutissement n'implique aucune idée de finalité.
Plus l'homme acquiert de la puissance, plus il devient vulnérable.Ce qu'il doit le plus redouter, c'est le moment où, la création entièrement jugulée, il fêtera son triomphe, apothéose fatale, victoire à laquelle il ne survivra pas. Le plus probable est qu'il disparaîtra avant d'avoir réalisé toutes ses ambitions. Il est déjà si puissant que l'on se demande pourquoi il aspire à l'être davantage. tant d'insatiabilité trahit une misère sans recours, une déchéance magistrale.
Mais qui, parmi nous, consentirait au recommencement indéfini de l'histoire dans sa totalité ? Avec chaque événement qui s'y produit, et qui nous apparaît nécessairement irréversible, nous avançons d'un pas vers un dénouement unique, selon le rythme du progrès dont nous adoptons le schéma et refusons, bien entendu, les balivernes. Nous progressons, oui , nous galopons même, vers un désastre précis ,et non vers quelque mirifique perfection.
Je viens d'un coin d'europe où les débordements, le débraillé, la confidence, l'aveu immédiat, non sollicité, impudique est de rigueur, où l'on connaît tout de tous, où la vie en commun se ramène à un confessionnal public, où le secret précisément est inimaginable et où la volubilité confine au délire. Cela seul suffirait à expliquer pour quoi je devais subir la fascination d'un homme surnaturellement discret.
On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela et rien d'autre.
Les hommes travaillent généralement trop pour pouvoir encore rester eux-mêmes. Le travail : une malédiction que lhomme a transformée en volupté. uvrer de toutes ses forces pour le seul amour du travail, tirer de la joie dun effort qui ne mène quà des accomplissements sans valeur, estimer quon ne peut se réaliser autrement que par le labeur incessant voilà une chose révoltante et incompréhensible. Le travail permanent et soutenu abrutit, banalise et rend impersonnel. Le centre dintérêt de lindividu se déplace de son milieu subjectif vers une fade objectivité ; lhomme se désintéresse alors de son propre destin, de son évolution intérieure, pour sattacher à nimporte quoi : luvre véritable, qui devrait être une activité de permanente transfiguration, est devenue un moyen dextériorisation qui lui fait quitter lintime de son être. Il est significatif que le travail en soit venu à désigner une activité purement extérieure : aussi lhomme ne sy réalise-t-il pas il réalise.
Sans Bach, Dieu serait un type de troisième ordre.
S'il y a quelqu'un qui doit tout à Bach, c'est bien Dieu.
Beethoven a vicié la musique : il y a introduit les sautes d'humeur, il y a laissé entrer la colère.
Se méfier des penseurs dont l'esprit ne fonctionne qu'à partir d'une citation.
L'art d'aimer? C'est savoir joindre à un tempérament de vampire la discrétion d'une anémone.
Espérer, cest démentir lavenir.
La lâcheté rend subtil.
Na de convictions que celui qui na rien approfondi.
Nous sommes tous des farceurs: nous survivons à nos problèmes.
Lon ne peut goûter à la saveur des jours que si lon se dérobe à lobligation davoir un destin.
L'interminable est la spécialité des indécis.
Ce qui n'est pas déchirant est superflu, en musique tout au moins.
Et avec quelle quantité d'illusions ai-je dû naître pour pouvoir en perdre une chaque jour!
On n'écrit pas parce qu'on a quelque chose à dire mais parce qu'on a envie de dire quelque chose.
Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter.
L'homme libre ne s'embarrasse de rien, même pas de l'honneur.
Un homme qui se respecte na pas de patrie. Une patrie, cest de la glu.
Objection contre la science: ce monde ne mérite pas d'être connu.
Ce besoin de remords qui précède le mal, que dis-je! qui le crée...
Un croyant qui a perdu la foi, la grâce, pourrait à juste titre accuser Dieu de trahison.
Celui qui a vécu jusquau bout lorgueil de la solitude na plus quun rival: Dieu.
Les penseurs de première main méditent sur des choses; les autres, sur des problèmes.
On ne devrait écrire des livres que pour y dire des choses qu'on n'oserait confier à personne.
Plus les hommes s'éloignent de Dieu, plus ils avancent dans la connaissance des religions.
Si l'on pouvait se voir avec les yeux des autres, on disparaîtrait sur-le-champ.
La conscience est bien plus que l'écharde, elle est le poignard dans la chair.
Depuis deux mille ans, Jésus se venge sur nous de n'être pas mort sur un canapé.
Si le chien est le plus méprisé des animaux, c'est que l'homme se connaît trop bien pour pouvoir apprécier un compagnon qui lui est si fidèle.
Journal: le besoin de consigner toutes les réflexions amères, par l'étrange peur qu'on arriverait un jour à ne plus être triste...
Au zoo. Toutes ces bêtes ont une tenue décente, hormis les singes. On sent que l'homme n'est pas loin.
Je sens que je suis libre mais je sais que je ne le suis pas.
Chacun sait que les armes de dissuasion ne sont efficaces que si l'on ne s'en sert pas.
À quoi bon fréquenter Platon, quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde?
On nhabite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, cest cela et rien dautre.
Des opinions, oui; des convictions, non. Tel est le point de départ de la fierté intellectuelle.
On ne peut expliquer un paradoxe, non plus quun éternuement. Dailleurs, le paradoxe nest-il pas un éternuement de lesprit?
La solitude est l'aphrodisiaque de l'esprit, comme la conversation celui de l'intelligence.
Il est inélégant de se plaindre de la vie tant qu'on peut s'aménager une heure de solitude par jour.
Le travail: une malédiction que l'homme a transformée en volupté.
Paris, point le plus éloigné du Paradis, n'en demeure pas moins le seul endroit où il fasse bon désespérer.
Dieu a exploité tous nos complexes d'infériorité, en commençant par notre incapacité de croire à notre propre divinité.
Expliquer quoi que ce soit par Dieu, c'est céder à une solution de facilité. Dieu n'explique rien, c'est là sa force.
Il n'y a qu'un remède au désespoir: c'est la prière - la prière qui peut tout, qui peut même créer Dieu...
Il est évident que Dieu était une solution, et qu'on n'en trouvera jamais une autre qui soit aussi satisfaisante.
La vie inspire plus d'effroi que la mort: c'est elle qui est le grand inconnu.
D'autres auteurs d'aphorismes
Daniel Pennac
Émile Zola
Nous ne pouvons pas désespérer des hommes, puisque nous sommes nous-mêmes des hommes.
Albert Einstein